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Technique et savoir-faire

"Qu'importe la technique, seule la créativité compte".

Ainsi parle Goudji mais son art tout entier est commandé par un métier retrouvé, un savoir-faire unique, un coup d'oeil acéré, une main adroite animée par une pensée, une volonté, une ténacité, une énergie et un rythme quasi musical qui lui sont particuliers.

Pour créer une pièce, Goudji "laisse parler la matière". Sans dessin préparatoire, le plus souvent, il découpe la feuille d'argent à l'estime, sans jamais prendre de mesure. Il la met en forme à grands coups de maillet sur un billot, puis au marteau sur la bigorne.

Ce qui contraste fondamentalement avec l'image d'un artisan minutieux que l'on se fait de l'orfèvre, c'est l'énorme énergie et la puissance physique nécessaires aux martelages violents et aux serrages extrêmes, la virtuosité manuelle et la justesse du coup d'oeil.

Symbole riche évoquant la présence de l'artiste et l'intimité de sa création, le tablier de Goudji est plus qu'un modeste vêtement de travail. C'est aussi le nécessaire compagnon de toutes ses luttes : il le protège de la morsure du métal, des brûlures de l'argent chauffé à blanc ou des projections d'acide dont ses mains portent souvent les marques. Patiné par les ans, le cuir vivant porte les stigmates de la tâche quotidienne et des maladresses dues à la fatigue.

Cent fois sur l'étau, l'artiste s'arc-boute pour changer d'enclumette, cent fois il troque son marteau, car il doit adapter la panne et l'enclume à la courbure qu'il recherche. Cent fois ses outils sont repolis car toute imperfection serait irrémédiablement insculpée, telle un poinçon, sur le métal écrasé. Et cent fois il recuit, trempe dans l'acide et rend au métal écroui sa souplesse et sa vie. A peine de la voir se déformer, se casser ou se déchirer, la pièce doit être chauffée uniformément. Les chandelles du brûleur et la lance du chalumeau deviennent alors protagonistes d'un ballet où le feu auxiliaire est aussi l'adversaire.

Avant que l'assemblage des éléments ne rende cette opération plus difficile, l'artiste appose les poinçons qui sont sa signature et sa garantie.

Préparés à part, parfois à partir de maquettes découpées dans du carton, les éléments d'une même oeuvre sont assemblés et soudés. L'orfèvre en affine les extrémités à raccorder, les enduit de fondant, les superpose et les chauffe simultanément. Lorsque la couleur du métal indique la température appropriée, il les soude par martelage, les trempe dans une solution d'acide cyanhydrique puis les rince à l'eau claire. Martelée et polie, puis réargentée ou dorée, la soudure devient invisible.

Une fois achevé le travail de l'orfèvre et avant l'intervention du lapidaire, l'oeuvre en devenir est confiée au Bureau de la Garantie de Paris, qui contrôle le poids et le titre du métal puis y appose son poinçon.

Les parois épaisses sont réalisées par l'assemblage de deux volumes parallèles dont le vide permet l'inclusion de logettes cloisonnées dans lesquelles sont incrustées des pierres ornementales. Sciés à même le bloc choisi par Goudji, les plaquettes sont assemblées et polies par Thierry Hauwel, le lapidaire formé à l'école exigeante de l'artiste. Elles soulignent la pureté des formes, équilibrent les volumes, rigidifient le métal, enrichissent la pièce par le jeu différencié de la lumière sur le métal et le minéral intimement mariés selon une technique particulièrement originale.

Après l'incrustation et le polissage des pierres ornementales, l'oeuvre reçoit par électrolyse un fin dépôt d'argent, et d'or pour les pièces en vermeil ou en or. Avivé au tampon, le dépôt électrolytique mat retrouve vie par un dernier polissage au sable, à main nue, et l'artiste lui donne son aspect définitif par un brunissage à l'agate qui veine la surface et accroche la lumière en fonction des facettes du martelage.

Recréant l'art du dinandier, de l'orfèvre, du joaillier, du lapidaire ou bien celui du chaudronnier, Goudji transcende leur métier, retrouve l'esprit de la toreutique antique. Il puise aux sources des civilisations disparues ce qu'elles ont créé d'universel, d'intemporel, et s'en sert pour des formes nouvelles, puissantes, animées d'un improbable bestiaire.

Ce sont tous les austères raffinements des peuples de l'éternelle errance dans l'immensité du paysage et l'infini de la pensée, ceux des nomades qui portaient sur eux leurs richesses, c'est la pureté primitive des formes mythiques et sacrées des Antiquités de l'Orient ou des Barbares de l'Extrême-Occident, c'est aussi la virtuosité des artistes du Bas-Empire romain et de la Renaissance italienne qui n'hésitaient pas à creuser les cristaux comme l'on forgeait le métal, ce sont tous ces trésors que Goudji ose recréer pour nos temps incertains et pour l'éternité, sélectionnant les blocs les plus rares et recréant les techniques disparues. Mais l'histoire n'enseigne-t-elle pas que c'est lorsqu'elles naissent ou renaissent que les nations créent les arts "primitifs" ou "archaïques", expressions de la pensée humaine les plus pures, les plus stables et les plus révélatrices de l'essentiel, et n'est-ce pas lorsqu'elles chancellent, qu'elles produisent ce qu'elles ont de plus raffiné, de plus complexe, d'éternel et d'éphémère à la fois ? N'était-ce pas dans les profondeurs les plus sombres que se cachait l'or des Niebelungen ou l'escarboucle des légendes ? Et les armes des dieux n'étaient-elles pas forgées dans l'antre formidable des Cyclopes ?

Témoin contemporain d'âges révolus et archéologue des temps présents, Goudji rappelle et recrée, transforme et suggère. Sa référence n'est plus quotidienne, elle est d'éternité.
 
 

Jacques Santrot,

Conservateur en Chef,

Directeur du Musée Thomas Dobrée

 
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